Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 2.djvu/300

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appeler tous les hommes du pays, et mettre a la raison le notaire L…, qui a juré, comme vous savez, la ruine de ses domaniers.

— Ah ! je comprends ! dit M. du Laz, aussi étonné de l’audace avec laquelle on avait abusé de l’autorité de son nom que surpris du profond mystère dont les paysans, qui, d’ordinaire, n’ont pas de secrets pour lui, avaient enveloppé leur projet. — Mes amis, continua-t-il, vous êtes toujours disposés a m’obéir, n’est-il pas vrai ?

— Toujours ! crièrent avec force les montagnards.

— Vous savez que je ne vous veux que du bien ?

— Nous le savons ! — Hé bien, retournez tous tranquillement chez vous, jusqu’a nouvel ordre de moi. —

Prenant ensuite à part deux des chefs de la bande : — Toi, dit-il au premier, va trouver l’adjoint ; qu’il se mette en planton au passage du gué, et qu’il arrête tous les montagnards qui vont y arriver pour se rendre à Spezet… Et toi, poursuivit-il en s’adressant à l’autre, cours vite donner ordre au bedeau de cacher la clef du clocher, afin que personne n’y monte et qu’on ne sonne pas le tocsin. —

Chacun se hâta d’obéir.

Cependant les paysans les plus voisins du bourg y étaient déjà rendus au nombre d’une centaine, attendant impatiemment le signal du tocsin et l’arrivée de leurs camarades. Mais le tocsin ne sonnait pas ; le bedeau avait disparu avec la clef de la tour, et aucun des chefs du complot n’arrivait. Tout à coup d’affreux hurlements s’élevèrent du milieu de la foule : le notaire L…, son fils et les hommes de loi paraissaient a l’entrée du bourg, escortés par une brigade de gendarmerie à cheval, le sabre à la main. Dans le tumulte général, une femme du peuple, qui demande aujourd’hui l’aumône, s’avançant au-devant de M. L…, lui présenta sa tabatière ouverte. Soit prudence, soit déférence, le notaire n’osa la repousser. Alors, montrant du doigt la douve du chemin : « Aussi vrai, s’écria la paysanne, que tu mets la main dans la tabatière d’une Bretonne, si tu chasses ton domanier de la maison de sa mère, tes os blanchiront au fond de celle douve jusqu’au jour du dernier jugement ! » Comme la menace n’ébranlait pas le