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JOURNAL

— Et si je vous aime, à quoi cela servira-t-il ?

— À nous rendre heureux, parbleu.

— Je ne puis me décider moi-même. Vous savez, monsieur, il y a les pères et les mères.

— Les miens, mademoiselle, n’ont rien contre, je puis vous le garantir. Soyons fiancés !

— Pas si vite, monsieur… Qu’avez-vous dit à votre mère ? Comment lui avez-vous parlé ?

— Je lui ai dit : Vous avez tant désiré que je me marie, j’ai trouvé quelqu’un que j’aime, je veux me marier et vivre comme il faut. Et ma mère m’a répondu qu’il fallait beaucoup penser avant de faire un pas si sérieux, et toutes sortes de choses.

— C’est tout naturel. Et à votre père, avez-vous parlé ?

— Non.

— Je vous demande cela, parce qu’on en parle en ville, et on a parlé à maman qui a été très fâchée de cela.

— Ma mère lui a sans doute parlé.

Il est plus de deux heures et je ne finirais jamais d’écrire, si je disais la moitié seulement. Et puis, c’est bête, on ne peut écrire que les choses dures ; quant aux choses douces, elles ne peuvent s’écrire et ce sont les seules choses amusantes à lire.

Dimanche à deux heures, je serai en face du couvent et il se montrera à la fenêtre en s’essuyant la figure avec un linge blanc.

De suite, je cours pour calmer l’amour-propre blessé de maman et je raconte tout, mais en riant, pour ne pas paraître amoureuse.

Pour le moment, assez ! Je suis tranquille, heureuse, surtout heureuse devant les miens qui avaient déjà baissé les oreilles.