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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Il est tard, vraiment, il faut dormir.


Vendredi 31 mars. — C’est une fameuse preuve d’amour de m’avoir raconté ce qu’il m’a dit ; je n’ai pas ri. Il m’a priée de lui donner mon portrait pour l’emporter au couvent.

— Jamais, monsieur, une pareille tentation !

— Je penserai tout de même à vous, tout le temps.

Est-ce assez ridicule ces huit jours de couvent ! Que diraient les amis du Caccia-Club s’ils savaient cela !

Je ne le dirai jamais à personne. Maman et Dina ne comptent pas, elles se tairont comme moi. Un couvent pour Pietro, c’est cocasse !

Et s’il a tout inventé ? C’est affreux, un pareil caractère ! Je n’ai confiance en personne.

Pauvre Pietro, en froc, enfermé dans une cellule, quatre sermons par jour, une messe, des vêpres, des matines, je ne puis m’habituer à croire à une chose aussi étrange.

Dieu ! ne punissez pas une créature vaine ; je vous jure que je suis honnête au fond, incapable de lâcheté et de bassesse. Je suis ambitieuse, voilà mon malheur ! Les beautés et les ruines de Rome me montent la tête ; je veux être César, Auguste, Marc-Aurèle, Néron, Caracalla, le diable, le pape !

Je veux et je ne suis rien…

Mais je suis toujours la même ; vous pouvez vous en convaincre en lisant mon journal. Les détails et les nuances changent ; mais les grandes lignes sont toujours les mêmes.