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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

fide accompagnateur avec son air de dire : « Celle-là est bien faite, gentille, ce sera amusant ! »

Après quelques phrases encore on se leva. Wartel resta assis et me tendit la main avec bonté. Je me mordais les lèvres.

— Écoutez, dis-je à la porte, rentrons et disons-lui la vérité.

Ma tante a tendu sa carte. Nous sommes rentrées en riant de grand cœur. Je racontai au sévère maestro ma farce.

C’est l’accompagnateur qui faisait une figure ! Je ne l’oublierai jamais. J’étais vengée.

— Si vous aviez parlé un peu plus, dit Wartel, je vous aurais reconnue pour une Russe.

— Je le sais bien, monsieur, aussi n’ai-je pas parlé.

Ces dames lui expliquèrent mon désir de savoir la vérité de son illustre bouche.

— C’est comme je vous l’ai dit, mesdames, il y a de la voix, il faut avoir du talent.

— J’en aurai, monsieur, j’en ai ; vous verrez d’ailleurs.

J’étais si contente que j’ai consenti à aller à pied jusqu’au Grand Hôtel.

— C’est égal, ma chère, dit la comtesse, j’ai de l’autre chambre observé la figure du maître, et quand vous avez chanté Mignon il a été très étonné, n’est-ce pas, madame ? Il a chantonné lui-mème, et de la part d’un homme comme lui ! Et pour une petite Italienne qu’il était là à juger avec toute la sévérité possible !…

Nous avons dîné ensemble ; j’étais contente, et je me suis montrée comme je suis avec toutes mes originalités, mes fantaisies, toutes mes ambitions, toutes mes espérances.