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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Mercredi 20 novembre. — Ce soir, après mon bain, je suis devenue subitement si jolie que j’ai passé vingt minutes à me regarder. Je suis súre que si l’on me voyait aujourd’hui, j’aurais du succès : une couleur absolument éblouissante et si fine, si douce, les joues à peine rosées ; en fait de vigueur, il n’y a que les lèvres et les sourcils avec les yeux. Je vous prie, ne me croyez pas aveugle quand je suis mal, je le vois bien, allez ; et c’est la première fois que je suis jolie depuis bien du temps déjà. La peinture prend tout.

Ce qui est infâme dans la vie, c’est que tout cela doit se faner, se parcheminer et mourir ! Jeudi 24 novembre. Breslau a peint une joue si

pature et si vraie, que moi, femme, artiste rivale, j’ai eu envie d’embrasser cette joue de femme… Il doit en être souvent ainsi pour les choses de la vie ; il ne faut pas trop s’en approcher, on se salirait les lėvres et l’on abimerait l’objet. Robert-Fleury est venu ce soir à l’atelier ; ça va toujours très bien.

Vendredi 22 novembre.nir de Breslau. J’en suis assombrie, triste. Elle compose et il n’y a dans ce qu’elle fait rien de féminin, de banal, de difforme. Elle sera remarquée au Salon, car, en outre de l’expression qu’elle y meltra, elle ne choisira pas un sujet ordinaire. Je suis vraiment folle de l’envier, je suis une enfant dans l’art et elle une femme. Je suis effrayée de l’aveMa peinture avant tout ; pour le moment je suis dans un mauvais jour, tout me semble noir.