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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

veux cuivrés et à la moustache fine, est devenu un gros Anglais très rouge avec des petits favoris roux à partir de l’oreille jusqu’au milieu de la joue.

Quatre ans pourtant… changent un homme. Au bout d’une demi-heure je n’y pensais plus.

Sic transit gloria Ducis.

Comme j’étais exaltée !


Lundi 8 octobre. — Pour la tête, un nouveau modèle, c’est-à-dire le matin. Une espèce de chanteuse de café chantant qui a chanté pendant les repos. Et l’après-midi une jeune fille pour l’académie.

On dit qu’elle n’a que dix-sept ans, mais je vous assure que sa taille est joliment endommagée. On dit que ces gredines mènent une vie impossible.

La pose est difficile, j’ai de la peine.

Ce qui rend les hommes honteux de leur nudité, c’est qu’ils ne se croient pas parfaits. Si on était sûr de n’avoir ni une tache sur la peau ni un muscle mal fait, ni des pieds déformés, on se promènerait sans vêtement et on n’aurait pas honte. On ne s’en rend pas bien compte, mais c’est cela, et pas autre chose, qui rend honteux. Peut-on résister de montrer quelque chose de vraiment beau et dont on peut être fier ? Qui a jamais gardé pour soi un trésor ou une beauté sans s’en vanter, à commencer par le roi Candaule ? Mais autant on se contente facilement de sa figure, autant on est instinctivement scrupuleux quant à son corps.

La pudeur ne disparaît que devant la perfection, la beauté étant toute-puissante. Et du moment où l’on trouve à dire autre chose que : « C’est beau ! » c’est que ça ne l’est pas tout à fait. Et il y a place pour le blâme et pour tout.

La coquine de l’atelier avait les doigts droits et jo-