Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 2.pdf/131

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
126
JOURNAL

mais je pourrais répondre que les impressions scnt involontaires ; ainsi, quelque fort que l’on soit, on aura toujours eu là le premier mouvement après lequel on pourra s’arranger à plaisir, mais il aura toujours et quand même été. Et il est bien plus naturel de continuer dans la voie de la première impression, de l’impression naturelle, en attendant ou en augmentant le sentiment éprouvé, que de le retourner, le tordre, le dévier et d’estropier ses sentiments au point de les assimiler les uns aux autres, ou, pour mieux dire, au point de tout confondre, effacer et ne se soucier plus de rien… Ne plus vivre : voilà pourtant où je veux m’amener. Il serait plus court de… Mais non… alors tout serait fini.

Il n’y a d’odieux dans ce monde que de n’en être pas, de vivre caché et de ne voir personne d’intéressant, de ne pouvoir échanger une idée, de ne voir encore ni les hommes célèbres, ni les hommes du jour. Voilà la mort, voilà l’enfer ! Je ne parlerai que de ce qu’on est convenu d’appeler malheurs ; eh bien, on ne devrait pas s’insurger et se plaindre ; les malheurs mêmes sont des jouissances, et on doit les accepter comme les éléments indispensables de la vie. Supposons que je perde un être bien-aimé, croyez-vous que cela ne me fasse rien ? Au contraire, je serais désespérée, je pleurerais, gémirais, crierais, puis cela se fondrait en tristesse pour longtemps, pour toujours peut-être.

Je ne trouve pas cela charmant, je ne le désire pas, je ne le préfère pas ; mais je suis obligée de dire que ce serait vivre, et par conséquent jouir. On perd son mari ou son enfant, on est trompé par son ami, on pousse des cris de reproche envers la destinée, j’en ferais sans doute autant ; mais ces ma-