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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

passage. Je voudrais le croire sérieusement pour me consoler de toutes ces misères, de tous ces chagrins brutaux, de ces froissements ignobles. Et le monde entier est si potinier ! C’est en éprouvant ce dégoût et cet étonnement en fait de potins de tous les jours que je me découvre pure de toutes ces mesquineries nauséabondes.

Vendredi 14 novembre. Si pendant plusieurs

jours je ne dis souvent rien, c’est que je ne trouve rien d’intéressant.

Jusqu’à présent, j’ai été charitable pour mes semblables ; je n’ai jamais dit ni répété le mal que l’on dit ; j’ai toujours pris la défense de n’importe qui attaqué en ma présence, avec la pensée intéressée que l’on en ferait peut-être autant pour moi ; j’ai toujours défendu même ceux que je ne connaissais pas, en priant Dieu de me le faire rendre ; je’n'ai jamais eu sérieusement l’idée de faire du mal à qui que ce soit, et si je désirais la fortune ou la puissance, c’était avec des idées de générosité, de bonté, de charité dont la grandeur m’étonne ; mais cela ne me réussit pas. Je continuerai bien à donner vingt sous à un pauvre dans la rue, parce que ces gens-là me font venir les larmes aux yeux, mais je crois bien que je vais devenir mauvaise. Ce

serait beau pourtant de rester bonne, tout aigrie et malheureuse. Mais ce serait amusant de devenir méchante, mauvaise, calomniatrice, nuisible…, puisque cela est égal à Dieu et qu’il ne tient compte de rien. Du reste, il faut croire que Dieu n’est pas ce que nous imaginons. Dieu, c’est la nature mème peut-être, et tous les événements de la vie. sont présidés par le hasard, qui amène quelquefois des coïncidences étran-