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JOURNAL

sommes d’accord, surtout lui, que je ne suis pas prête. Voyons, il y a deux ans et quatre mois que je travaille, sans décompter ni temps perdu, ni voyage : c’est peu, mais c’est énorme. Je n’ai pas assez travaillé, j’ai perdu du temps, je me suis relâchée, je…, en un mot je ne suis pas prête. « Les coups d’épingle vous rendent folle, a dit Edmond, mais vous supportez un coup de massue bien appliqué. » G’est vrai. L’éternelle comparaison… Breslau. Elle a commencé en juin 1875, cela lui fait quatre ans et demi et deux ans à Zurich ou à Munich : total six ans et demi, en ne décomptant ni voyage, ni temps perdu comme pour moi. Il y avait un peu plus de deux ans qu’elle peignait quand elle a exposé. Il y a un an et quatre mois que je peins, et je ne pourrais pas exposer aussi honorablement qu’elle.

Oh ! pour moi, cela ne ferait rien, j’attendrais, je suis courageuse et si on me dit d’attendre un an, je réponds sincèrement : C’est bien. Mais mon public, mais ma famille ; on ne croira plus en moi ! Je pourrais exposer, mais ce que Julian voulait, c’est que je fisse un portrait à tapage et je ne pourrai m’en tirer que médiocrement. Voilà ce que c’est que de monter sur de grands chevaux ; il y en a dans l’atelier de cinq fois moins fortes que moi qui ont exposé et l’on n’a rien dit, c’est vrai. Mais moi… pourquoi faire ? — Vous n’avez besoin ni de leçons, ni de commande à 50 ou 100 francs, il nous faut un éclat. Exposer quelque chose comme les autres, mais c’est indigne de vous ! C’est mon opinion aussi ; mais mon public et la famille et en Russie !…

Vous comprenez, Julian dit que je dessine dix fois mieux que Manet, et il ajoute ensuite que je ne sais pas dessiner. Vous devez faire plus !