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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Jeudi 13 mai. les oreilles qu’il me faut faire les plus grands efforts pour qu’on ne s’aperçoive de rien. Ahl c’est horrible. Avec S… ça va, parce que je suis assise près, et puis quand je le veux, je peux lui dire qu’il m’ennuie ; les G… parlent haut. – A l’atelier, on rit et on me dit que je suis devenue sourde ; je parais préoccupée et je me plaisante : mais c’est horrible. J’ai des bourdonnements tels dans Je suis allée seule au Salon de bonne heure ; il n’y avait que les gens qui ont des cartes. J’ai bien regardé la Jeanne d’Arc et surtout le Bon Samaritain de Morot. Je me suis assise en face Dimanche 16 mai.

du Morot avec une lorgnette et je l’ai étudié. C’est le tableau qui m’a fait le plus complėtement plaisir depuis que j’existe. Rien n’accroche, tout est simple, vrai, bien ; tout est fait d’après nature et ne rappelle en rien les affreuses beautés académiques et convenues. C’est adorable à regarder ; la téte de l’ane même est bien, le paysage, le manteau, les ongles des pieds. C’est heureux, c’est juste, c’est bien. La Jeanne d’Arc a une tête sublime. Ces deux toiles sont dans deux salles voisines ; j’allais de l’une à l’autre. Je lorgnais le Morot et pensais å ce bon S… lorsqu’il est passé devant moi sans me voir, et en m’en allant, je l’ai vu qui, du jardin, montrait mon tableau à une autre personne qui avait la tournure d’un journaliste. Ét l’Arlequin de Saint-Marceaux ! Le Salon de l’année dernière fermé, j’ai pensé que la médaille d’honneur m’avait monté la tête, l’euvre n’étant plus là pour me rassurer ; au bout de six mois, j’élais persuadée que j’avais exagéré Saint-Marceaux, mais cet Arlequin me rouvre les yeux. Le premier jour, je suis restée là plantée sur mes deux pieds, ne m’imaginant pas de qui cela