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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

pendant le jour, ni les fléaux errants dans les ténèbres, ni le trépas qui exerce ses ravages à midi ; mille tomberont à ton côté, et dix mille à ta droite ; mais la mort n’approchera point de toi. » Hier j’ai pensé à ces lignes divines, je les ai relues avec enthousiasme ; avec le même enthousiasme qu’en mon enfance ; je ne prévoyais pas qu’elles me serviraient aujourd’hui.

Je viens de faire mon testament, il est contenu dans l’enveloppe ainsi adressée : — A M. Paul Bashkirtseff, Poltava. En main propre, Russie. « Je viendrai te tirer par les pieds quand je serai morte, s’ils n’exécutent pas mes volontés ! » S… est resté, d’abord c’était une simple causerie. Ma tante ne me quitta pas, elle m’ennuyait et je me suis mise au piano et il me dit une chose qui m’a fait froid : ses sœurs le marient, mais il n’aime pas la femme qu’on veut lui donner. Alors, ne l’épousez pas, croyez-moi, c’est insensé. Après,

nous jouons aux cartes, aux bêtes, jeu favori des domestiques russes. C’est Mme de B. que vous épou serez, lui écris-je sur un cahier,

Non, elle est encore plus vieille, me répond-il par la même voie.

Alors nous emplissons six pages de ces phrases qu’il serait amusant de conserver. En fin de compte, il m’aime, il m’adore et les phrases tournent autour du sujet brûlant. Je lui défends de plaisanter et il répond que c’est moi qui me moque de lui. Ma tante dit de temps en temps que je suis folle, qu’il faut me coucher, et je lui réponds que j’ai la maladie et que je vais mourir.