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JOURNAL

Après cette correspondance singulière je suis presque convaincue qu’il m’aime ; ce soir, il y a eu de sa part des regards fort significatifs et des serrements de main, sous prétexte de voir si j’ai la fièvre. Enfin cela ne mène à rien, mais je voudrais tout de même garder ce garçon, ne sachant pas encore ce que j’en ferai. Je lui dirai de demander à maman, cela fera gagner du temps : maman refusera, encore un délai… et puis, je n’en sais rien. C’est déjà quelque chose de n’en rien savoir. Lundi 14 juin.

me passionne. Je me rappelle, lorsque C. entrait, c’était comme un éblouissement ; je ne saurais définir, ni sa manière d’être, ni mes impressions… Tout mon être allait à lui quand je lui tendais la main. Et puis, je me sentais envolée, partie, dépouillée de mon enveloppe charnelle. Je me sentais des ailes et puis une terreur affreuse de voir les heures passer si vite ! Et je ne comprenais pas !.. C’est dommage que la nature de ces écritures ne me permette pas d’isoler les faits remarquables, tout se confond. Et puis, j’ai un peu affecté, à dire vrai, de m’occuper de tout pour montrer que j’existais en dehors de G.Seulement, quand je veux revivre ces événements, je suis choquée de les trouver entourés de tout le reste. Mais n’est-ce pas ainsi dans la vie ? Pourtant, il y a des choses, des événements, des hommes qu’on voudrait isoler et renfermer dans un précieux coffret avec une clef d’or.

— Quand vous vous sentirez supérieure à lui, il ne

vous dominera plus, dit Julian. Est-ce que ce n’est pas l’idée d’avoir son portrait à faire qui m’a poussée à travailler ? Je relis le passé pour lequel je