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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

J’écris toute courbée et, si je veux me redresser, j’ai atrocement mal ; c’est chez moi l’effet des larmes ; à la mort du prince impérial, j’ai eu mal comme cela. J’ai bien pleuré depuis ce matin. Al ardi 28 septembre. Une bonne journée commencée de la nuit. J’ai rêvé de lui. Il était laid et malade, mais ça ne fait rien. — Je comprends maintenant qu’onn’aime pas pour la beauté.-Nous causions comme deux amis, comme avant ; comme nous causerions encore si nous nous retrouvions ! Je ne demandais qu’une chose : que notre amitié restât dans les limites permises pour durer.

C’était aussi mon rêve dans la réalité. Enfin je n’ai jamais été si heureuse que cette nuit. Saint-Amand arrive à déjeuner. Avalanche de compliments ; je suis ceci et cela, et l’on formera cet hiver un cercle d’élite autour de moi ; il m’amènera les célébrités, tous les quelqu’un, etc., etc. Je n’avais pas même besoin de cela, je me suis éveillée en riant. Dumas fils dit que les jeunes filles n’aiment pas, mais préfèrent, car elles ne savent pas ce que c’est que l’amour. Aussi où diable place-t-il l’amour, M. Dumas ? Et d’abord on sait toujours à peu près assez pour savoir… Et puis, ce que M. Dumas appelle l’amour n’est

la conséquence et le complément naturel de que

l’amour et pas du tout une chose à part, isolée et complète, du moins pour les gens un peu propres. « Conséquence inévitable souvent et sans laquelle il n’y a. pas d’amour possible, » dit le même Dumas, et il appelle cela aussi « la dernière expression de l’amour ». Ça, je veux bien, mais dire qu’une fille ne peut pas aimer, c’est fou. Moi, je n’en sais rien, et pourtant je sens qu’il y a là quelque chose de repoussant, avec un être désa-