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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

et le pince-nez étant, chez les femmes, les signes des idées avancées. On déporte, on empoisonne, on exile pour un mot. On fait des visites domiciliaires de nuit, et, si vous n’étes pas très dangereux, on vous exile à Viatka ou à Perm ; si vous l’êtes beaucoup, en Sibérie, à la potence. On dit qu’il n’y a pas de famille où il n’y • ait un exilé, un pendu ou un surveillé au moins. L’espionnage est tellement organisé qu’il est impossible de causer chez soi, en famille, sans que tout soit rapporté à qui de droit.

Pauvre pays, et je m’accusais, l’autre jour, de lâcheté parce que je ne voulais pas y aller ! Mais est-ce possible ? Les socialistes y sont d’atroces gredins qui assassinent et pillent ; le gouvernement y est arbitraire et stupide, ces deux éléments épouvantables se font la guerre, les sages sont écrasés entre les deux. La jeune fille me dit, au bout de deux heures de causerie, que pour le dixième de ce que je dis je serais envoyée aux travaux forcés ou pendue, et que si je vais en Russie mon affaire est faite. J’irai en Russie, quand il y aura dans ce beau pays quelque respect du droit des gens, quand on pourra y être utile et qu’on ne risquera pas d’ètre exilée pour avoir dit que « la censure est bien sévère ». Tout cela fait bondir. Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de fonder un parti libéral honnête, car je hais autant les crimes du socialisme que ceux du gouvernement ?

Ah ! si je n’avais ma peinture, comme je… Oh ! Français, qui dites que vous n’êtes ni heureux, ni libres !… Il se passe en Russie ce qui s’est passé en France sous la Terreur : un geste, un motet on est perdu. Ah ! qu’il reste encore à faire pour que les hommes soient à peu près heureux !