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JOURNAL

à démontrer que je suis malade, mais cela ne me plait guère. C’est une vilaine mort, très lente, quatre, cinq, dix ans peut-être. Et l’on devient si maigre, si laid. Je n’ai pas beaucoup maigri, je suis tout à fait comme on doit être ; seulement j’ai l’air fatigué et je, tousse beaucoup, et la respiration est difficile. Voilà, pourtant ! Depuis quatre ans, soignée parles plus grandes célébrités, promenée aux eaux, et non seulement je n’ai pas retrouvé ma belle voix, si belle que je pleure en y pensant, mais encore je suis de plus en plus malade et, disons le mot, horrible, un peu sourde. Allez, pourvu que la mort vienne vite, je ne me plaindrai pas.

Vous est-il arrivé parfois de prendre la parole ou la plume pour dire que vous ne croyez plus à quelque chose à quoi vous avez cru, et pendant même que vous dites : — Ét dire que j’étais persuadé de cela ! d’être repris par l’ancienne idée et d’y croire de nouveau ou tout au moins de fortement douter de la nouvelle ? C’est dans ces dispositions-là que je fais l’esquisse d’un tableau… En attendant l’artiste, le modèle, une petite femme blonde, est assis à califourchon sur une chaise et fume une cigarette en regardant le squelette entre les dents duquel il a fourré une pipe. Les habits sont éparpillés par terre, à gauche ; à droite, les bottines, un porte-cigare ouvert par terre et un petit bouquet de violettes. Une des jambes est passée par-dessus la traverse du dossier de la chaise, la femme est accoudée et a une main sous le menton. Un bas par terre et l’autre pend encore au pied. Cela s’arrange très bien comme couleur. A propos, je deviens coloriste. Ah ! je dis cela pour rire ; mais, blague à part, je sens la couleur et il n’y a pas de comparaison entre mes peintures d’il y a deux mois, avant le Mont-Dore, et d’à présent.