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JOURNAL

aussi, quand je fais un face.

tableau, on se voile la

Il pleut, il fait froid, un froid aigu, atroce ; il fait noir. Aussi, je suis comme le temps et je tousse sans cesse. Ah ! quelle misère et : quelle atroce existence ! A trois heures et demie, il ne fait plus assez clair pour peindre et, si je lis le soir, j’ai les yeux fatigués le lendemain pour peindre. Le peu de gens que je pourrais voir, je les fuis de peur de ne pas entendre ce qu’ils disent. Il y a des jours où j’entends très bien et d’autres non, et alors c’est un supplice sans nóm… Aussi Dieu va me faire finir. Du reste, je suis préparée à toutes sortes de misères, à condition de ne voir personne. Chaque coup de sonnette me fait frémir… Ce nouveau et horrible malheur me fait Vendredi 22’octobre.

craindre tout ce que je désirais. Jugez ! Je suis toujours très gaie et très drôle pour les autres, je ris autant que Mlle Samary du Théåtre-Français, mais c’est plus une habitude qu’un masque, je rirai toujours. C’est fini ; non seulement je crois que c’est fini, mais je désire que cela soit fini. Il n’y a pas de mot pour peindre mon abattement. ’Dimanche 24 octobre. — Je suis allée au Louvre. J’y vais toujours seule, sachant bien n’y rencontrer personne de connu, le dimanche avant midi. On ne voit bien que seul. Je suis enchantée des tableaux du siècle passé ; c’est d’une grâce inimitable et exquise. Voilà une charmante époque. Me croyezvous née pour la vie laborieuse, studieuse ou héroïque ? Je voudrais m’adonner à la plus molle paresse, enfouie dans les gazes de Watteau et de Greuze et dans les brocards de Rigaud. Voilà un siècle exquis, tous les