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JOURNAL

que c’est la première fois qu’on me corrige. Got parti, Tony est arrivé, je l’en avais prié par lettre ; c’est bien gentil à lui, Tony trouve qu’il n’y a rien à changer, que rien ne cloche, que cela ne va pas mal du tout, que ça peut être très amusant et qu’il n’y a qu’à continuer. Julian, qui vient après, est aussi gentil, et je vois que mon travail l’amuse, car il vient le regarder souvent et m’encourage en me donnant de bons conseils. Tout cela va si bien que je n’y crois pas. Voilà pour deux mois d’oubli, d’amusement, de bonheur. Après quoi, j’irai faire un tour en Italie, jusqu’à l’ouverture du Salon ; trois mois et demi de bonne vie, cela me parait impossible ; tout serait bon. Mercredi 26 janvier.

l’atelier, je suis prise de la fièvre et reste jusqu’à sept. heures sans lumière à grelotter dans un fauteuil, moitié endormie et toujours le tableau devant les yeux, comme chaque nuit depuis huit jours. Vous savez qu’A… s’est installée à l’autre extrémité de l’atelier et fait mon tableau à rebours et, comme chaque fois qu’elle veut me surpasser, elle croit qu’elle y arrivera en prenant tout le tem ps des mesures ; et ce bras tendu, cette main avec ce bout de fusain, me donnent devant les yeux avec des lignes très noires, tirées sur mon tableau pour la perspective. N’ayant pris qu’un peu de lait, la nuit a été encore plus extraordinaire ; je ne dormais pas, puisque j’ai fait plusieurs fois sonner le réveil, mais le tableau était toujours là et j’y travaillais ; seulementje faisais tout le contraire de ce qu’il fallait, entraînée par une volonté surnaturelle à effacer ce qui était bien. Oh ! c’était énervant ! Et pas moyen de rester calme, je m’agitais comme un diable, m’efforçais de croire que je rėvais, Mardi, en revenant de