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JOURNAL

Et quand je serai totalement finie, tout changera peut-être, et alors il sera trop tard. Chacun pour soi, il est vrai ; mais pourtant ma famille affecte de tant m’aimer et elle ne fait rien… Je ne suis plus rien moi-même, il y a un voile entre moi et le reste de la terre. Si on savait ce qu’il y a là-bas, mais on ne sait pas ; du reste, c’est cette curiosité qui me rendra la mort moins affreuse. Je m’écrie dix fois par jour que je veux mourir, mais c’est une forme de désespoir. On pense : je veux mourir, et ce n’est pas vrai ; c’est une façon de dire que la vie est horrible ; mais on veut vivre toujours et quand même, surtout à mon åge. Du reste, ne vous attendrissez pas, j’en ai encore pour quelque temps. On ne peut accuser personne. C’est Dieu qui veut ça. Dimanche 15 mai. – Pourtant… En un mot, je vais partir pour la Russie, si on veut m’attendre huit jours. Il me serait affreux d’assister à la distribution des récompenses. Ça, c’est un très gros chagrin que personne ne sait, sauf Julian. Donc, allée incognito consulter un grand docteur,… Mes oreilles guériront, l’enveloppe du poumon droit est malade et depuis longtemps, pleurésie, tout dans le gosier est abimé. Je lui ai demandé tout cela en des termes tels qu’il a dû me dire la vérité après avoir bien vu la maladie.

Il faut aller à Allevard et suivre un traitement. Bien. J’irai en revenant de Russie, et de là à Biarritz. Je travaillerai à la campagne. Je ferai des études de plein air, ça fait du bien. J’écris tout ça d’un air pars. Je suis

rageur. Mais ici à la maison, la situation est larmoyante.