Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 2.pdf/327

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
322
JOURNAL

fois au théalre ; on peut être malade en famille, faire des cures en famille, enfin tout ce qui est de la vie intime et des choses nécessaires ; mais voyager en famille I !  ! G’est comme si on prenait plaisir à valser avec sa tante. C’est ennuyeux mortellement et même quelque peu ridicule. J’ai fait hier une étude de mendiant en quatre ou cinq heures. Tête grandeur nature. Il faut de temps en temps essayer des esquisses très rapides pour s’assouplir la main.

Il me semble être en exil ; les journées sont si longues sous ce ciel gris ; et, dormant peu, à cause des moustiques, je suis énervée et ne puis travailler. Je m’imaginais trouver à Séville un tas d’aventures amusantes, mais je m’ennuie tant que je reste enfermée à l’hôtel, et il pleut. Pas d’amour, pas de poésie, pas mėme de jeunesse. Rien ; c’est vrai, il n’y a rien dans ma vie à Séville. Il me semble que je suis enterrée comme en Russie, cet été. Tous ces voyages !… Pourquoi ? Et la peinture ?… Voilà cinq mois que je n’ai été à l’atelier ; de ces cinq mois, avec tous ces voyages, j’en ai perdu trois. Moi qui ai tant besoin de travailler !… La mention de Breslan a réveillé tout un monde de pensées ou plutot a rapproché de mo’, a rendu possible… a transporté dans la vie réelle ce réve de médaille au Salon, qui paraissait si lointain que j’y songeais dans mes contes à dormir, comme je songeais à avoir la Légion d’honneur ou à être reine d’Espagne. Lorsque Villevieille vint m’annoncer la probabilité de la mention Breslau, elle eut l’air de croire que cela me faisait… Enfin les autres, en admettant queje pouvais oser songer à une récompense pour moi, m’ont donné l’audace d’y songer, ou plutôt de me dire que, puisque les autres pensent que je puis y