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JOURNAL

moitié pensive et sentant s’éveiller en elle on ne sait quoi de nouveau, d’inconnu, de charmant et de triste… Les mains tiennent à peine le livre de prière, près d’échapper… Pour cela, j’irai dans une petite ville d’Allemagne et je peindrai le tableau l’été prochain… Mais mon Dieu, qu’ai-je donc fait tout cet été ? Rien ! D’ailleurs je ne le pourrai peut-être pas mettre à exécution à présent, et Marguerite peut attendre encore. Mais mon tableau… c’est si beau, si sublime à faire. Ne vaudrait-il pas mieux attendre encore un an pour être plus en possession des moyens d’exécution ?… Ah ! je suis folle, je devrais apprendre la grammaire, et je ne pense qu’à écrire des poèmes. Je devrais aller tous les jours à l’atelier jusqu’à trois heures et puis modeler pendant trois ou quatre heures. Voilà la vérité. Et pourquoi ne le fais-je pas ? Pourquoi est-ce ainsi dans ce monde ?…

Il est vrai que des gens moins forts que moi se permettent de faire des tableaux, mais ce sont ceux qui sont arrivés et ne peuvent aller plus loin ; je ne suis pas forte, mais je puis le devenir, mais j’ai la consolation d’être au début ; car enfin il n’y a pas cinq ans que je travaille en tout. Et Robert-Fleury, le père, est resté quatre ans à dessiner avant de toucher à une couleur, et combien y en a-t-il qui sont restés deux ans au plâtre et des années au dessin ?… Et je dessine bien, moi, et je commence à peindre pas mal ; il y a dans ce que je fais de la vie ; cela parle, cela regarde, cela vit… Alors quoi ? Rien, travaillez !.. Seulement je ne vois pas ma grandeur dans la peinture…c’est-à-dire… Je suis troublée, je ne sais plus… Je suis troublée. O folle, il faut avant tout savoir son métier. La pensée, la beauté et la philosophie de la peinture sont dans l’exécution, dans la compréhension exacte de la vie…