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JOURNAL

mon état peut s’améliorer d’une façon salisfaisante, de sorte que ce sera une surdité supportable ; elle l’est déjà ; elle le sera davantage à ce qu’il parait. Mais si je ne suis pas rigoureusement le traitement qu’il m’indique, ça augmentera. Il m’indique aussi un petit médecin qui me surveillera pendant deux mois, car il n’a pas le temps lui-même de me voir deux fois par semaine, comme cela est nécessaire. J’ai eu pour la première fois le courage de dire : Monsieur, je deviens sourde. Jusqu’ici, j’ai usé de : « Je n’entends pas bien, j’ai les oreilles bouchées, ete. » Cette fois j’ai osé dire cette chose atroce, et le médecin m’a répondu avec la brutalité du chirurgien. Je souhaite que les malheurs annoncés par mes rêves soient cela. Mais ne nous óccupons pas d’avance des tuiles que Dieu tient en réserve pour son humble servante. Pour le moment, je ne suis qu’à moitié sourde. Enfin il dit que ça s’améliorera certainement. Tant que j’ai ma famille qui guelte autour de moi et qui vient à mon aide, avec l’adresse de l’affection, ça va encore… Mais seule, au milieu d’étrangers ! Et si j’ai un mari méchant ou peu délicat ?… Si encore c’élait racheté par quelque grand bonheur dont j’aurais été comblée sans le mériter ! Mais… Pourquoi donc dit-on que Dieu est bon, que Dieu est juste ? Pourquoi Dieu fait-il souffrir ? Si c’est lui qui a créé le monde, pourquoi a-t-il créé le mal, la souffrance, la méchanceté ?

Alors je ne guérirai jamais… Ce sera supportable, mais il y aura un voile entre moi et le reste du monde. Le vent dans les branches, le murmure de l’eau, la pluie qui tombe sur les vitres…, les mots prononcés à voix basse… Je n’entendrai rien tout cela ! Avec les K… je ne me suis pas trouvée en défaut une seule fois ; à