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JOURNAL

Hier, j’ai appelé deux pratiJeudi 22 mars.

ciens qui m’ont construit la carcasse de la statue en grand, d’après la petite que j’ai faite en terre. Et aujourd’hui je l’ai dessinée et lui ai donné le mouvement voulu… Je suis très empoignée. Les saintes femmes en peinture, que je tâcherai de faire cet été ; et en sculpture, ma grande préoccupation c’est Ariadne, En attendant, je fais cette femme, qui est en somme la figure debout, la figure de l’autre Marie du tableau ; seulement en seulpture, sans vêtements et en prenant une jeune fille, cela ferait une adorable Nausicaa. Elle a laissé tomber sa tête dans ses mains et pleure. Il y a dans la pose un abandon si vrai, un désespoir si complet, si jeúne, si sincère, si triste que je suis très empoignée. Nausicaa,

fille du roi des Phéaciens, est une des plus charmantes figures de l’antiquité. Figure de second plan, mais figure attractive, touchante,’intéressante. Je

suis absolument de l’avis d’Ouïda, qui voudrait étrangler la vieille Pénélope et marier Ulysse avec cette idéale jeune fille, appuyée à la colonne de marbre rose du palais de son père et s’éprenant de cet intrigant d’Ulysse, au récit de ses aventures. Aucune parole n’est échangée entre eux ; il s’en va, ce bourgeois, retrouver son pays et ses affaires. Et Nausicaa reste sur le rivage à regarder s’éloigner la grande voile blanche, et lorsque tout, à l’horizon bleu, est désert, elle laisse tomber sa téte dans ses mains, et, les doigts sur la figure, dans les cheveux, sans souci de sa beauté, les épaules soulevées et le sein écrasé par ses bras, · elle pleure.

Dimanche 25 mars. Depuis hier deux heures je