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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

diner, j’écoute et me dis que voilà des gens qui ne font rien et qui passent leur vie à dire des niaiseries ou des potins. Sont-ils plus heureux que moi ?… Leurs tracas sont autres et ils souffrent autant. Et ils ne jouissent pas autant que moi de tout. Une quantité de choses leur échappent : des riens, des subtilités, des reflets qui sont pour moi un champ d’observations et une source de plaisirs inconnus du vulgaire, mais aussi je suis peut-être plus sujette que beaucoup à ces contemplations des grandeurs de la nature, autant que des mille détails de Paris. Un passant, une expression d’yeux d’enfant ou de femme, une annonce, que saisje ? Quand je vais au Louvre, traverser la cour, monter l’escalier

par le sillon tracé par les millions de pieds qui l’ont foulé ; ouvrir cette porte, et les gens que l’on y rencontre, on leur prête des histoires, on les suit dans leur être intime, on se représente leur vie en un instant ; — puis d’autres pensées, d’autres impressions, et tout cela s’enchaine et tout cela est divers. Il y a sujet à… Est-ce que je sais ? Et si, depuis que j’entends parfois moins bien, je suis moins que tout le monde, il y a peut-être des compensations. Oh ! non. Tout le monde le sait, et c’est la première chose que l’on doit dire en me nommant : « Elle est un peu sourde, vous savez ? » Je ne sais comment je puis l’écrire… Est-ce qu’on peut s’habituer à une telle misère ? Que cela arrive à un homme ågé, à une vieille femme, à un malheureux ! mais à un être jeune, vivant, vibrant, enragé de vie !  !  ! Vendredi 27 avril. hier et il est resté une heure. On a parlé de mon grand tableau et le susdit Tony R.-F. manifeste des craintes sérieuses.

Tony R.-F. est venu me voir