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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

'ira bien, mais si je ne le possède pas, ce ne sont pas ’des études de draperies qui me le donneront. Il me faut un paysage à peu près comme celui que je rêve, et il n’est pas compliqué. Et il me faut deux femmes, que j’ai trouvées : l’une, la pâle, est étonnante ; l’autre est aussi bien. Et puis ? Et puis il faut une installation quelque part à la campagne, et du beau temps pour faire mes figures. Et le paysage se fera d’après des études rapportées de là-bas.

Et alors ? La difficulté, c’est que je ne le ferai pas cette année.

Je ne pourrai y aller qu’en novembre, et, à moins de le faire entièrement là-bas, il faudra attendre l’été pour l’exécuter.

Maintenant, il y a chez mol une ae ces convictions profondes, enthousiastes, immenses, que ce doit être beau ! Et il y a aussi la certitude que les forces se décuplent quand on travaille avec amour. Il me semble même qu’un certain élan peut suppléer à presque tout. Je vous en donnerai des preuves. Exemple : voilà six ou sept ans que je ne joue plus du piano ; mais là, plus du tout, quelques mesures en passant ; je suis restée des mois sans y toucher, pour jouer tout à coup cinq ou six heures par jour une fois par an. Dans ces conditions-là, les doigts n’existent plus ; aussi je ne puis rien jouer devant du monde, et la moindre demoiselle me battrait. Eh bien, que j’entende un chef-d’euvre, comme la marche de Chopin par exemple, ou celle de Beethoven, que je sois saisie, possédée du désir de la jouer, et, en quelques jours, en deux ou trois jours, et en ne jouant pas plus d’une heure par jour, j’arrive à la jouer tout à fait bien, aussi bien que n’importe qui, que Dusautois,