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JOURNAL

Mardi 8 mai. Je vis dans mon art, descendant pour diner et ne causant avec personne. Je me sens dans une phase nouvelle. Tout parait petit et sans intérét, tout, en dehors de ce qu’on fait. La vie pourrait être belle, prise ainsi. Mercredi 9 mai. — Ce soir, c’est un monde à part, et qui choquerait beaucoup notre société habituelle, mais qui m’amuse excessivement. J. Bastien ne se dépense pas, lui qui prêche tellement l’économie de l’esprit, des forces et de tout pour concentrer tout sur un méme point. Eh bien ! je crois que, chez moi, il y a une telle exubérance de tout que si je ne me dépensais pas, je ne pourrais y tenir. Sans doute si la conversation ou le rire vous épuisent, vous avez raison de vous abstenir, mais… Pourtant, il doit avoir raison.

On monte à l’atelier et, naturellement, ma grande toile est retournée contre le mur, et je me bats presque avec Bastien pour l’empécher de la voir, car il s’était fourré entre la toile et le mur. J’exagère Saint-Marceaux, et J. Bastien dit qu’il en est jaloux et qu’il va le dégotter petit å petit. Il l’a répété plusieurs fois et l’autre jour aussi ; eh bien, que ce soit une plaisanterie, ça me ravit. Il faut qu’il croie que Saint-Marceaux est adoré plus que lui, artistiquement, bien entendu. Je lui demande toujours :

l’aimez ? Non, l’aimez-vous, n’est-ce pas que vous Oui, beaucoup.

— L’aimez-vous autant que je l’aime ? Ah ! non, je ne suis pas une femme, moi ; je l’aime, mais…

— Mais ce n’est pas comme femme que je l’aime t