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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

métier de dupe ? Qui me rendra mes plus belles années dépensées… peut-être en vain ! Mais il y a une bonne réponse à ces doutes du mor vulgaire, c’est que je n’avais rien de mieux à faire vraiment ; partout ailleurs, et vivant comme les autres, j’aurais eu trop à souffrir… Et puis, je n’aurais pas atteint ce développement moral qui me rend d’une supériorité bien gênante… pour moi. Stendhal au moins avait connu un ou deux êtres capables de le comprendre ; tandis que moi, c’est effrayant ; tout le monde est plat, et ceux que je prenais pour des gens d’esprit me paraissent stupides. Est-ce que je serais devenue ce qu’on appelle un être incompris ? Non, mais enfin… 11 me semble pourtant que j’ai bien raison d’ètre élonnée et mécontente, quand on pense de moi des choses dont je suis incapable et qui atteindraient ma dignité, ma délicatesse, mon élégance mėme…

Voyez-vous, quelqu’un qui me comprendrait tout à fait, devant qui je pourrais tout dire ?… Qui comprendrait tout et dans les discours de qui je reconnaitrais mes pensées ?… Et bien, ma petite, ce serait de l’amour.

Peut-être bien ; mais, sans aller si loin, des gens qui vous jugeraient seulement d’une façon intelligente, et avec qui on pourrait causer, ce serait déjà bien agréable… et je n’en connais pas. Le seul était Julian, et voilà que je le trouve de plus en plus fermé… Il cst agaçant même quand il commence ces interminables taquineries qui frappent à côté, surtout dans les questions d’art ; il ne comprend pas que je vois clair et que je veux arriver ; il me croit entichée de’moi… Enfin… en somme, il est encore mon cońfident par intervalles. Pour ce qui est d’une parité absolue de