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JOURNAL

sentiments, ça n’existe pas, à moins d’ètre amoureux ; alors c’est l’amour qui fait des miracles… Pourtant, est-ce que ça n’est pas au contraire cette parité absolue qui fait naitre l’amour ? — L’âme-sceur. Moi, je erois que cette image, dont on a abusé, est bien juste. Eh bien, où est-elle cette âme ? Quelqu’un dont on ne· verrait pas même le bout de l’oreille… Il faudrait que pas un mot, pas un regard ne fussent en désaccord avec l’idée que je… m’en fais… Ce n’est pas que je demande la perfection introuvable et un être qui n’aurait rien d’humain ; mais je demande que ses travers me paraissent des travers intéressants et ne le démolissent pas à mes yeux ; qu’il soit conforme au rêve, non pas le rêve banal des divinités impossibles, mais enfin que tout en lui me plaise… et que je ne découvre pas tout à coup quelque coin stupide, ou plat, ou insuffisant, ou niais, ou mesquin, ou faux, ou intéressé ; rien qu’une de ces taches, et mėme toute petite, suffit pour tout détruire. Dimanche 2 décembre.

— En somme, mon cæur est absolument vide, vide, vide… Mais il me faut des rêveries pour m’amuser… Pourtant, j’ai éprouvé presque toutes ces choses dont parle Stendhal, à propos de l’amour vrai qu’il nomme amour-passion. Toutes ces mille folies de l’imagination, tous les enfantillages dont il parle… Ainsi, il m’est arrivé de voir avec bonheur des gens assommants, parce qu’ils avaient ce jour-là approché de l’objet. Du reste, je crois qu’un être, femme ou homme, travaillant toujours et préoccupé d’idées de gloire, n’aime pas comme ceux qui n’ont que cela à faire. Sans doute, Balzac et Jules (pas César) l’onl dit ; la somme d’énergie est une ; si on la dépense loute à