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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

S’il y avait un homme quelconque dans le paysage, je croirais que je suis encore amoureuse, tellement je suis inquiète ; mais oulre qu’il n’y en a pas, je suis dégoûtée… Pourtant,

il y a des jours où je trouve que l’on ne déroge pas en suivant ses caprices ; au contraire, on fait preuve de fierté ou de mépris pour les autres, en ne voulant pas se contrarier. Oh ! mais ils sont si bas et si indignes tous, que je suis incapable de m’en occuper un seul instant. D’abord ils ont tous des cors aux pieds, et je ne le pardonnerais pas à un roi ! Imaginezvous que je rêve à un homme qui a des cors aux pieds ! Je commence à croire à une passion sérieuse pour mon métier, ce qui me rassure et me console. Je ne veux rien d’autre ; et je suis trop dégoûtée de tout pour qu’il puisse y avoir autre chose. S’il n’y avait pas cette inquiétude, et celte peur, je serais heureuse !

Il fait toul à fait beau, c’est le printemps enfin ; on le sent autant que c’est possible à Paris, où, même dans les bois les plus charmants, sous des arbres qui semblent mystérieux et poétiques, on est toujours sûr de trouver un garcon avec son tablier blanc retroussé et un bock à la main.

Je me lève avec le soleil, et suis à I’atelier avant le modèle ; pourvu que je n’aie plus cette peur, cette maudite superstition.

Je me souviens, dans mon enfance, j’avais un pressentiment et une peur à peu près pareils ; il me semblait que je ne pourrais jamais apprendre que le français, et que les autres langues ne s’apprennent pas. Eh bien ! vous voyez qu’il n’en est absolument rien. Et pourtant c’élait une vraie peur superstitieuse comme à présent. J’espère que cet exemple me rassurera. M. B. — I

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