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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

monde, puis à un mariage riche, puis encore à la politique ? Tout

cela dans les moments oùje rêvais, oùj’espérais la possibilité des quelques arrangements féminins, hnmains, naturels. Mais non, rien ! Cela ne me fait même plus rire, cette déveine constante, imperturbable, étonnante. J’y ai gagné un grand sang-froid, un mépris énorme. pour tous, du raisonnement, de la sagesse, un tas de choses enfin qui me composent un caractère froid, dédaigneux, insensible et en méme temps remuant, brusque, énergique. Qnant au feu sacré, il est caché et les vulgaires spectateurs, les profanes ne le soupçonnent même pas. Pour eux je me « fiche » de tout, je n’ai pas de ceur ; je critique, je méprise, je me moque. Et toutes les tendresses refoulées au plus profond de moi-même, que disent-elles de cet affichage hautain

? Elles ne disent rien… elles murmurent et se

cachent davantage, offensées et chagrinées. Je passe ma vie à dire des choses sauvages qui me plaisent et qui étonnent les autres… Ce serait bien, si cela ne prenait un accent amer, si ce n’était le fruit de cette inimaginable déveine dans toutes les choses. Ainsi lorsque je fis la fameuse demande au bon Dieu, le prêtre me donna le vin et le pain que je pris, puis le morceau de pain sans vin comme c’est l’usage. Et ce pain me tomba des mains à deux reprises. J’en fus peinée, mais n’en dis rien, espérant, que ce n’était pas un refus…

C’en était un, à ce qu’il paraît. Tout cela prouve qu’il y a mon art auquel je dois me vouer… Par saccadej’en sortirai encore sans doute, mais pendant des heures seulement, après quoi j’y retournerai châtiée et sage.