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JOURNAL

qui se croyait du septicisme acquis par une expérience de quarante ans, m’ont ballottée on ne sait où et le diable sait comment ! D’autres, dans des circonstances semblables, auraient pu rencontrer des appuis solides qui auraient permis le travail à Rome ou ailleurs, ou bien un mariage. Moi, rien.

Je ne regrette pas d’avoir vécu à ma guise, il serait étrange de le regretter, sachant bien qu’aucun conseil ne me sert à rien. Je ne crois qu’à ce que j’éprouve.


Lundi 10 septembre. — Demain matin nous partons. J’aime bien Schlangenbad. Les arbres sont superbes, l’air doux. On ne rencontre personne si on veut.

Je connais tous les sentiers, toutes les allées. On serait heureux, si on pouvait se contenter de Schlangenbad.

Mes mères ne me comprennent pas. Dans mon désir d’aller à Rome, elles voient les promenades du Pincio, l’Opéra, et « des leçons de peinture ». Et si je passais toute ma vie à leur expliquer mon enthousiasme, elle le comprendraient peut-être, mais comme une chose inutile, une fantaisie à moi… Les petites misères de tous les jours les ont absorbées… et puis on dit qu’il faut être né avec l’amour de tout cela, autrement on ne comprend jamais, quelque spirituel, distingué et excellent qu’on soit. Mais, n’est-ce pas moi plutôt qui suis bête ?

Je voudrais être fataliste.


Paris. — Mercredi 19 septembre. — J’ai relu mes tripotages avec A. et j’ai bien peur qu’on ne me prenne pour une idiote ou pour une personne un tant soit peu légère. Légère, non. Je suis d’une honnête famille… qu’est-ce que je dis ?