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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

main dans la sienne au moment de nous séparer. Il. m’a baisé la main. Je lui devais bien cela. Et puis, il m’aime et me respecte tant, pauvre homme ! Je l’ai questionné comme un enfant, je voulais savoir comment cela lui était arrivé ; depuis quand ? Il parait qu’il m’a de suite aimée.-Mais c’est un amour étrange, dit-il ; les autres sont des femmes, vous êtes au-dessus de l’humanité, c’est un sentiment bizarre ; je sais que vous me traitez comme un bouffon bossu, que vous n’avez pas de bonté, pas de ceur, et pourtant je vous aime

; on admire toujours un peu le cæur de la femme

qu’on aime. Et moi… je n’ai pour ainsi dire sympathie pour vous, tout en vous adorant. J’écoutais toujours, car je vous le dis, en vérité, les paroles d’amour valent tous les spectacles de la terre, excepté ceux auxquels on va pour se montrer. Mais alors, c’est encore une espèce de chant, de manifestation amoureuse ; on vous regarde, on vous admire, et vous vous épanouissez comme une fleur au soleil. pas

de Soden. — Dimanche 7 juillet. partons. Grand-papa voulait que je reste ; mais je lui dis adieu ; alors, il m’embrassa, et tout à coup il se mit à pleurer, le nez froncé, la bouche ouverte, les yeux fermés, comme un enfant ! Avant sa maladie, ce n’était rien, mais maintenant je l’adore. Si vous saviez comme il s’intéresse aux moindres choses, comme il nous aime tous, depuis qu’il est dans cet affreux état, Encore un instant, et je serais restée… Quelle folie d’être si sensible toujours ! Imaginez-vous un étre transporté de Paris à Soden. Silence de mort ne rend que faiblement le calme qui règne à Soden. J’en suis étourdie comme on le serait d’un grand tapage. Ici il y aura du temps pour méditer et pour écrire. — A sept heures nous