Page:Bassompierre - Journal de ma vie, 1.djvu/181

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de Creange, et les comtes de Quesle[1] et de Reiffercheid[2]. Ils avoint desja souppé, et estoint a demi ivres. Je les priay que, puis qu’ils me trouvoint a table, ils s’y missent plustost que de me mener attendre le souper au chasteau, ce qu’ils firent ; et en peu de temps de notre soif[3], Guittaut et un mien compere, maitre de monnoies de Lorraine, et moy, nous les achevasmes sy bien d’ivrer, qu’il les fallut remporter au chasteau, et moy, je demeuray a mon hostellerie, et le lendemain, a la pointe du jour, je montay a cheval, pensant partir ; mais ils avoint, la nuit, envoyé deffendre que l’on ne me laissat pas sortir : car ils vouloint avoir leur revanche de ce que je les avois enivrés. Il me fallut donc demeurer ce matin là a disner, dont je me trouvay bien mal ; car, affin de m’enivrer, ils me mirent de l’eau de vie dans mon vin, a mon avis, bien qu’ils m’ayent depuis asseuré que non, et que c’estoit seulement d’un vin de Lebsberg, quy est sy fort et sy fumeux, que je n’en eus pas beu dix ou douse verres que je ne perdisse toute connoissance, et que je ne tombasse en une telle lethargie, qu’il me fallut saigner plusieurs fois, et me ventouser, et me serrer avesques des jarretieres les bras et les jambes. Je demeuray a Saverne cinq jours en cet estat, et perdis de telle sorte le goust du vin, que je fus,

  1. Peut-être un comte de Manderscheid-Kayl.
  2. Deux frères, Hermann Adolphe et Guillaume Salentin de Salm-Reifferscheid, fils de Werner, comte de Salm et Reifferscheid, et de Marie de Limburg-Styrum, furent chanoines de Strasbourg ; le premier mourut en 1637, et le second en 1634.
  3. Soif veut dire ici boisson, de l’allemand saufen, boire avec excès.