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journal de ma vie.

pensant que le tronçon que j’avois dans le corps fut seulement au bas de saye, me l’arracha, sans y penser, sy a propos, que les chirurgiens eussent eu peine de le faire sy adroitement. Allors tous mes boyaux sortirent de mon ventre, et tomberent au costé droit de mes chausses : le nombril me tenoit contre le dos, et la quantité de sang que je perdois m’empescha de me pouvoir soustenir ; de sorte que l’on me jetta sur le lit de Mr  de Vandosme, là ou, apres estre desarmé, on visita ma playe, on me remit les boyaux dans le ventre le mieux que l’on peut ; puis avesques une longue tente[1] et force bandages, on les y tint ferme. Le roy, monsieur le connestable, et tous les principaux de la court estoint là, la plus part pleurans, ne pensant pas que je deusse vivre une heure. Je ne fis pas neammoins mauvaise mine, ny ne creus jammais mourir. Plusieurs dames y estoint, quy me virent panser, et je voulus a toute force retourner a mon logis ; pour quoy faire la reine m’envoya sa chaire ou on la portoit, car pour lors elle estoit grosse. Le peuple me suyvoit en y allant, avesques apparence de desplaisir. Comme j’arrivay a mon logis, je perdis la veue, ce quy me fit penser que j’estois bien mal ; et l’on me fit confesser et saigner quasy en mesme temps. Cependant je ne croyois pas mourir, et ne faisois que rire.

Le roy, des que je fus blessé, fit cesser le tour-

    Bourbon, prince de Condé, et de Charlotte de la Trémoille, né posthume le 1er septembre 1588, mort le 26 décembre 1646. Il fut le père du grand Condé. C’est lui qui figure dans toute la suite de ces mémoires sous le nom de M. le Prince.

  1. Rouleau de charpie, qu’on met dans une plaie.