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journal de ma vie

d’Ancres estoit de fortune allors a la chambre de la reine quy nous vit promener, la Rochefoucaut et moy, ensemble ; il dit a la reine : « Venés voir, Madame, comme Bassompierre tasche d’animer la Rochefoucaut contre vous de ce qu’il n’a point eu la lieutenance generale de Poytou. » La reine se leva de sa petite chaire ou elle se coiffoit pour regarder a la fenestre, et vit en mesme temps que Mrs de Crequy et Saint-Luc venoint a nous, que nous fismes embrasser et les embrassames aussy avesques beaucoup de tesmoygnages de tendresse et d’affection. Allors le marquis prenant son temps luy dit : « Par Dieu, Madame, tout cela est contre vous : ils font une brigue, et je veux mourir sy Bassompierre ne les asseure de Mr de Rohan, Crequy de Mr des Diguieres, et les autres reciproquement a eux. Il est fort aysé a juger par leurs gestes ; autrement a quoy seroint bonnes toutes ces embrassades a gens quy se voyent incessamment ? »

La reine fut tellement susceptible de cette creance que, sans l’approfondir davantage, elle nous fit a tous quattre la mine : mais les trois s’en estans allés, ou a Paris, ou en leurs païs, elle continua sur moy avesques tant de violence qu’elle dit assés haut qu’il y avoit des gens quy se mesloint de faire des ligues contre le service du roy et le sien, mais que sy elle en pouvoit descouvrir quelque chose, qu’elle les feroit sy bien chastier que les autres y prendroint exemple ; puis en carrosse, parlant de moy aux princesses, elle leur dit que je faisois des choses contre son service, dont je me pourrois bien repentir : elles me le dirent au retour, et moy a Mr de Guyse, a quy la reine tenant ce mesme discours, en