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1616. décembre.

decadences encores ; et que l’homme arrive jusques a un certain point de bonheur apres lequel il descend, ou bien il precipite, selon que la montée qu’il a fait a esté haute et roide. Sy vous ne m’aviés connu en ma bassesse je tascherois de vous la desguyser ; mais vous m’avés veu a Florence desbauché [et scapillate][1], quelquefois en prison, quelquefois banny, le plus souvent sans argent, et incessamment dans le desordre et dans la mauvaise vie. Je suis né gentilhomme et de bons parens[2] ; mais quand je suis venu en France, je n’avois pas un sou vaillant et devois plus de huit mille escus. Le mariage de ma femme et les bonnes graces de la reine m’ont donné beaucoup d’intrigue du vivant du feu roy, beaucoup de biens, d’avancement, de charges et d’honneurs pendant la regence de la reine[3] ; et j’ay travaillé a ma fortune et l’ay poussée en avant autant qu’un autre eut sceu faire, tant que j’ay veu qu’elle m’estoit favorable. Mais depuis que j’ay reconnu qu’elle se lassoit de me favoriser et qu’elle me donnoit des avertissemens de son eslongnement et de sa fuitte, j’ay pensé a faire une honneste retraitte, et de jouir en paix, ma femme et moy, des grans biens que la liberalité de la reine nous avoit donnés, que nostre industrie nous avoit fait acquerir, et en logeant et alliant nos enfans dans nostre païs natal en de bonnes familles, leur laisser apres nous nostre heritage et succession. C’est de quoy depuis quelques mois j’importune ma femme en vain, et a

  1. Inédit. — Scapigliato, dissolu.
  2. Sur la naissance de Concini on peut voir les Memorie recondite (t. IV, pp. 58 et 59).
  3. Les précédentes éditions portaient : pendant sa régence.