Page:Bastiat - Proudhon - Interet et principal, Garnier, 1850.djvu/130

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gratis, vous supposiez un riche capitaliste en face d’un pauvre naufragé. — Et vous-même, un instant avant, vous aviez placé un ouvrier en présence d’un capitaliste prêt à être englouti sous les flots. Que s’ensuit-il ? qu’il est des circonstances où le Capital, comme le travail, doivent se donner. Mais on n’en peut pas plus conclure à la gratuité normale de l’un qu’à la gratuité normale de l’autre.

Maintenant, vous me parlez des méfaits du Capital, et me citez en exemple un Capital privilégié. Je vous répondrai en vous citant du travail privilégié.

Je suppose qu’un réformateur, plus radical que vous, se lève au milieu du Peuple et lui dise : « Le Travail doit être gratuit ; le salaire est un vol. Mutuum date, nil indè sperantes. Et, pour vous prouver que les profits du Travail sont illégitimes, je vous signale cet agent de change qui exploite le privilége exclusif de faire des courtages, ce boucher qui a le droit exclusif d’alimenter la ville, ce fabricant qui a fait fermer toutes les boutiques, excepté la sienne. Vous voyez bien que le Travail ne porte pas en lui-même le principe de la rémunération, qu’il vole tout ce qu’on lui paye, et que le salaire doit être aboli. »

Assurément, en entendant le réformateur assimiler les rétributions forcées aux rétributions libres, vous seriez fondé à lui adresser cette question : Où avez-vous appris à raisonner ?

Eh bien, monsieur, si vous concluez du privilége de la Banque à la gratuité du crédit, je crois pouvoir retourner contre vous cette question que vous m’adressez, dans votre dernière lettre : Où avez-vous appris à raisonner ?

« Dans Hégel, direz-vous. Il m’a fourni une logique infaillible. » Malebranche aussi avait imaginé une méthode de raisonnement, au moyen de laquelle il ne devait jamais se tromper… et il s’est trompé toute sa vie, au point qu’on a pu dire de ce philosophe :

Lui qui voit tout en Dieu, n’y voit pas qu’il est fou.