Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/340

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demoiselle, même celles que je fais !… Mais il faut s’entendre sur le mot. Vous êtes l’inspiratrice, sinon l’instigatrice de votre père !… Vous jouez un rôle dans votre parti, vous devenez peu à peu la muse rouge de l’animateur… Et maintenant votre menace de suicide, là, sous mes yeux… est-ce d’une victime ou d’une guerrière qui va de l’avant, prête à ferrailler et à poser ses conditions ? C’est de votre faute si, étant sur la barricade, l’arme à la main…

RENÉE, (l’interrompant, furibonde.)

Vous mentez !… Il n’y a pas de barricade ! Les vrais pavés de la révolution, les voilà ! (Elle montre les piles de livres.) C’est peut-être vous qui la souhaitez de tout cœur, la guerre civile… vous qui la susciteriez au besoin et qui appelleriez la nation en champs clos pour vider la vieille querelle !… Ah ! non, non, ne m’accusez pas d’appeler la haine !… La haine, ah ! je la hais trop, celle-là !… Alors, elle sera donc toujours de ce monde ? Les hommes s’entr’égorgeront toujours, même quand nous ne serons plus là, pour leurs idées, leurs croyances, leurs ambitions… Non, non, je ne veux pas le croire !… Ah ! tout de même, il viendra bien, après nous, il viendra, le jour de l’amour ! le jour où les pauvres gens sur la terre auront pitié les uns des autres… où l’on ne se fera plus de mal, où on se tendra les bras pour s’aider au lieu de se détruire !… Votre Dieu l’a dit le premier et j’ai cru à votre Dieu quand j’étais petite… Il faut croire à l’espérance humaine, Monsieur !

GIBERT.

La voilà bien l’utopie la plus dangereuse ! Nous lui devons assez de mal à celle-là ! Le rêve de l’amour !… Bon pour les livres ou les songes-creux !…