Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 1, 1922.djvu/171

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garde-la, allons regarde-la, ferme, ta carcasse de conscience, efflanquée sur ce fauteuil, répugnante et les mains vertes… Je suis votre déchet et nous sommes irrémissiblement frères… Il faut en prendre son parti… C’est horrible !

MARTHE.

Daniel !… Ne nous haïssez pas, tous les deux… par pitié…

MAXIME.

Néfaste et médisant… jaloux même, aigri comme tous les malades !… Pour tous et pour toi, tu aurais dû ne pas naître… ou mourir !

DANIEL.

Tranquillise-toi… c’est à moitié fait. Je te dis que petit à petit, cette vie m’étouffe, je le sens bien… L’air ici est du gaz… Je défaille au milieu du chant des usines… Ah !… l’usine… toujours… toujours… La nuit j’en rêve !… Oui… Je suis là sans bouger, la vapeur siffle à l’infini autour de moi… les roues me font signe… et, dans l’obsession, je sens à ma joue l’haleine tentatrice des volants… les courroies strient et fendent mes chairs… toute l’usine vient à moi. En pleine poitrine, heurtent les bielles et les coudes et, sous l’étau froid, je sens la douleur, goutte par goutte