Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

GINETTE.

Non ! Pas d’agonie ! il est mort d’un coup au cœur, en plein cœur. Je suis sûre de cela !

(Elles parlent toutes deux comme dans une hallucination. Ginette les yeux étincelants de fièvre, Cécile voûtée, regardant le sol.)
CÉCILE.

Pas d’agonie ! parbleu, c’est toujours ce qu’on nous dit, à nous autres femmes…

GINETTE, (avec une voix égarée presque prophétique.)

On ne me l’a pas dit de lui, mais j’en suis sûre !

CÉCILE, (devant l’accent d’une pareille affirmation, paraît avoir presque une détente de l’angoisse. Elle tourne le visage vers celle de qui vient la parole apaisante.)

Merci, Ginette ! Je vous donnerai un souvenir de lui… Parmi ces pauvres choses, ces épaves, vous choisirez. (Elles revont toutes les deux à la table… Cécile serre farouchement les objets contre elle.) Elles sont à moi, elles seront toujours sur ma peau. Et entre toutes, Ginette… entre toutes, voilà la grande chose sacrée… la seule chose vivante encore !

(Elle tient le portefeuille à plat sur sa main, sans oser l’ouvrir.)
GINETTE.

Pas maintenant… Ce n’est pas encore le moment des souvenirs, vous avez tout le temps… Laissez cela, vous voyez bien que vous n’avez même pas la force nerveuse de supporter le choc.

CÉCILE.

Il y a peut-être un testament… qui sait ?

GINETTE.

Laissez donc… laissez donc !

(Avec des précautions infinies, des défaillances, elle déplie la chose, entr’ouvre le portefeuille.)