Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/162

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non plus un héros… C’était un homme tour à tour faible et fort comme tous les hommes. Il ne nous a pas trahis… Il nous avait quittées… Il m’avait quittée simplement, le pauvre, pour suivre la voix de la jeunesse qui l’appelait là-bas… Il a subi le mirage entraînant… C’était trop haut pour toi, Pierre… C’était trop loin pour toi, Pierre… voilà tout… Tu devais tomber fatalement ! Oh ! si tu étais resté près de mon petit cœur !… Tu vois maintenant, Pierre, comme la jeunesse est cruelle !

(Elle faiblit, Madame de Saint-Arroman la soutient.)
DUARD, (gravement.)

Il n’y a pas à pardonner aux héros. Madame !

CÉCILE, (levant vers lui simplement sa pauvre tête ravagée.)

Mais s’il n’avait pas été qu’un pauvre homme, Monsieur, je ne lui aurais pas pardonné !… (Sa main laisse tomber à nouveau la lettre froissée dans un mouvement de faiblesse, on veut la lui remettre en mains.) Ce n’est rien… ce n’est rien… C’est un papier qui n’a aucune espèce d’importance ! (Elle considère la lettre dans ses mains. Une hésitation sur ce qu’elle doit en faire. Puis, elle regarde le feu… Ensuite elle se dirige, ou plutôt se traîne vers la cheminée. Elle dépose sur le charbon brûlant, presque respectueusement, le papier qui se met à flamber et à se consumer. On devine à son attitude, presque de prière, que c’est une sorte d’incinération, de purification… Ses mains jointes ont pourtant un mouvement en avant comme pour arrêter l’engloutissement de la lettre suprême. Elle la regarde douloureusement brûler en pleurant, pendant que tous les êtres groupés autour d’elle respectent son sanglot, lent, régulier, qui remplit la chambre.) Tu vois, tu vois ce que c’est… Je ne t’aurais pas fait de mal, moi !… Mais c’est bon… c’est bon… Je respecterai ta pensée. Ce sera