Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/68

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que c’est d’hier. Vous rappelez-vous quand il nous faisait enrager, ses petites blagues d’enfant. Quand nous ouvrions la porte, qu’il criait de loin : « bonjour, chérie » en se fourrant après sous les draps pour se cacher avec un rire d’enfant qui va se faire gronder !… Alors c’est fini !…

(Ils demeurent songeurs.)
RENAUDIN, (riant.)

Peut-être que bientôt il y en aura un autre comme moi qui viendra vous dire : « Vous savez, Renaudin ! vous vous rappelez Renaudin… un petit brun… avec des moustaches courtes… »

GINETTE, (avec autorité.)

C’est très mal de partir avec ces idées-là, Renaudin !

RENAUDIN.

Oh ! je n’ai pas peur, allez !… Et vous savez bien que je n’ai pas peur ! Si ça y est, ça y sera ! Et puis, du reste, c’est des gens comme nous qui devraient y passer, oui, ceux qui n’ont pas beaucoup de famille, ou pas du tout, ceux qui ne laissent rien derrière eux !

GINETTE.

Vous n’avez pas de mère ?

RENAUDIN.

Je vous l’ai déjà dit, mais vous avez oublié… C’est trop naturel, ne vous excusez pas… Non, vous savez, moi je n’ai pas été heureux. J’ai encore mon père, il est horloger à Albi ; il m’aime bien, seulement ce n’est pas lui que je voudrais avoir comme dernière image devant les yeux… car vous savez, nous sommes obligés tous de penser à quelqu’un… y a pas ! c’est obligatoire. Oh ! bien sûr, on a toujours dans le cœur l’idée de patrie, mais ça n’est pas dans les yeux, dans la mémoire.