Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 10, 1922.djvu/69

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On a besoin de se reporter, pour se donner du courage, quelquefois à une figure plus précise… à qui on ait l’habitude de penser et qui vous accompagne… À la fin, au bout de mois et de mois de cafard, de boue, de poisse, on n’a plus que quatre ou cinq pensées favorites. On rabâche tout le temps. Tenez, dans le combat où j’ai été blessé, j’avais un camarade qui, pendant l’ouragan de mitraille, chantonnait, accroché par terre à deux touffes d’herbe, un air de gramophone qu’il avait l’habitude de chanter dans la tranchée. Et ça n’était pas par fanfaronnade ni par peur. Non, c’était pour avoir en lui, autour de lui, sa pensée d’habitude, la pensée qui lui faisait le plus de plaisir, qui lui rappelait le plus la vie, les bons moments, la rigolade… Moi, je suis bien fixé, je sais à quoi je penserai… Au meilleur moment de ma vie.

GINETTE, (les yeux baissés.)

Le meilleur moment, je crois que c’est toujours l’enfance.

RENAUDIN, (secouant la tête.)

Non, le meilleur moment ç’aura été le temps que je viens de passer à l’hôpital. Oh ! oui… je repenserai longtemps, longtemps à l’hôpital, à vous ! Ça, je peux dire que j’ai eu de la chance, j’ai été heureux ! Vous pouvez parler de veine !

GINETTE, (riant.)

Mais c’est une chance que vous avez tous ! Presque tous nos hôpitaux se valent…

RENAUDIN.

Oui, mais pas les infirmières ! Et vous le savez bien !… Quand on vous embarque, qu’on n’est pas trop touché, c’est une phrase qui se dit là-bas : « Est-ce que je vais avoir la veine de tomber sur