Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 11, 1922.djvu/157

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ALONSO.

Oui… dans la mallette… je te la laisse. Elle est ouverte. Tu trouveras dedans le sac de cuir… Préfères-tu que moi-même…

DON JUAN.

Non, va te coucher.

ALONSO.

Je te raconterai comment j’ai opéré, et…

DON JUAN, (l’interrompant avec un rire nerveux.)

Grand merci… tu es bien aimable !… (Il ouvre la porte de la salle du fond et appelle.) Pablo… Apporte-moi les flambeaux. (Il revient à Alonso.) J’ai besoin de quelques instants de solitude pour me remettre d’aplomb… (Il tourne tout à coup vers Alonso des yeux bons et sincères.) Merci, Alonso… excuse-moi. Tu as été au contraire vigilant et amical, et je ne suis qu’un butor… Tu verras quand l’aurore m’aura rafraîchi la cervelle ! Crois bien qu’au fond je comprends la beauté funèbre de ton acte… J’essaie de ricaner… mais j’imagine très bien la mise en scène de cette nuit où tu es allé forcer les mâchoires de la mort pour m’épargner un sacrilège que je n’aurais peut-être pas eu la vaillance d’accomplir… Je vois le ciel étoilé et toi, tout seul, toi… accroupi dans l’ombre sur ta besogne atroce… Donne ta main ; tu n’as pas besoin de me rappeler ton courage… Nous sommes deux complices qui ne se décrivent pas leurs crimes l’un à l’autre !… Tu m’as rapporté mon âme, ma jeunesse et (Montrant la malle.) ma vérité… merci ! (Pablo entre et avec Alonso monte l’escalier de droite. Ils disparaissent. Pablo avait allumé deux flambeaux, il en a pris un et a posé l’autre sur la table. Don Juan reste seul, la nuit est presque tombée : il regarde tristement la porte par laquelle Inès est sortie. Il va à la