très indulgents, avec une grande sérénité, une grande bonté ! Si tu l’avais connu, tu l’aurais aimé, va !… Dire que tu n’auras même pas entendu le son de sa voix… Tu ne l’as connu que dans des langes…
Je l’ai rencontré jadis… à quinze ans… Je garde trois ou quatre visions de lui… Mais celle qui subsiste surtout, Jeanne, celle qui s’impose à moi en ce moment, c’est celle-ci : une chambre défaite… un lit… un berceau… deux petits poings recroquevillés !… Je vois la lampe… là… à droite… l’ombre portée de la tête sur le linge blanc…
Et moi qui ai trente ans de souvenirs remplis de lui… Je me demande si ce sera suffisant pour m’intéresser à ce qui me reste à vivre !… Car maintenant, si tu savais, ces souvenirs à lui, ça me paraît ne faire qu’un tout petit paquet d’années, si petit ! si petit !… Il est vrai que le souvenir, je l’ai déjà usé à l’avance depuis qu’il était parti au front !… Je savais qu’il ne reviendrait pas… J’en étais sûre… comme beaucoup de mères… J’en avais fait le sacrifice dès le départ… Il était mort pour moi depuis si longtemps que, tu vois, je peux t’en parler le cœur fendu, mais déjà comme s’il s’agissait d’un deuil arriéré… catalogué… Je pleure, mais ce sont déjà des larmes habituées… Tu vois, j’ai toute ma présence d’esprit… je mange… je vais… Je reprendrai mon travail dans quelques jours… Ce n’est pas une souffrance à hurler. Non, c’est une sorte d’empoisonnement… Voilà… je me dis, ce sera long, très long… seulement, j’ai la certitude que, tout de même, j’en mourrai… Alors, cette pensée me