Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/172

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GENEVIÈVE.

Oh ! de grâce, n’ayons l’air de rien ! Faisons semblant de ne pas l’avoir aperçu… Peut-être ne nous remarquera-t-il pas… peut-être ne passera-t-il pas par ici. Donnez-moi ce verre… ayons l’air de rire… merci… Ah ! Félix, d’un grand élan, de tout mon cœur, de tout mon désespoir, je vous aime, je vous aime, je vous aime ! Il faut que vous m’emportiez dans vos bras tout de suite, n’est-ce pas ? loin, loin… à jamais… Emmenez moi. Je suis à vous. Prenez, prenez mes lèvres… Je suis votre femme, votre chose…

FÉLIX.

Geneviève, vous êtes folle !… Il est là… il nous voit du hall… il vient à nous. Redressez-vous…

GENEVIÈVE.

Eh bien, quoi ! n’êtes-vous pas mon amant ? Je mets mes bras autour de votre cou. Rien n’est plus naturel que je mette mes bras autour du cou de mon amant… n’est-ce pas ?…

FÉLIX.

Que faites-vous ?

(Éperdument, en sentant approcher les pas d’André Demieulle, elle s’accroche au cou de Félix dans une pose nonchalante et pâmée de maîtresse accoutumée, comme pour donner à l’homme qui s’avance et va passer un change suprême. Et ce faisant, avec l’expression la plus douloureuse du monde, elle essaye de rire bruyamment et de paraître naturelle. Elle serre en tremblant les épaules de Félix qu’elle empêche de bouger et elle a ses lèvres tout proches de son cou. — Félix qui entend, sans se retourner, le pas d’André, la regarde faire avec terreur et stupeur à la fois.)