Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/177

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quelque chose de si touchant que j’ose à peine y croire… Ah ! éclaire-moi je t’en supplie !

GENEVIÈVE.

Eh ! ne saisis-tu pas, malheureux ! Je voulais l’irréparable entre nous et puis, à tant faire, je voulais que tu me haïsses au moins, puisque tu ne pouvais pas m’aimer ! J’ai voulu te délivrer de moi pour de bon… J’ai voulu te voir, de loin, heureux avec d’autres femmes… devenir ce que tu souhaitais d’être, plus célèbre, plus jeune, libre enfin, même de mon souvenir… grâce à cinq petites minutes de mensonge, grâce à la poignée de sable que je t’avais jetée dans les yeux… Hélas ! moi qui ai tant mendié en vain de toi un peu de ce mensonge, le mensonge divin de l’amour, si nécessaire, qui fait que je me teignais les cheveux depuis déjà plus de cinq ans pour que tu ne les visses pas blanchir… Ce que je voulais ? Il le demande ? L’oubli pour toi, la paix pour moi !… Et maintenant tout est fini, raté… Malheureux ! pourquoi as-tu passé cette porte ?

ANDRÉ.

Tu as fait cela, toi, toi ! Depuis quelque temps, le soupçon m’en était bien venu, à vrai dire, mais… mais je croyais trop à l’égoïsme des femmes, parbleu !

GENEVIÈVE.

Et maintenant que tu sais tout, va-t’en… aie ce courage… Je suis sans force, moi, j’ai tout usé… à toi de savoir te conduire… Tu es bien convaincu que nous ne pouvons plus être heureux ensemble… Va-t’en…

ANDRÉ.

M’en aller ! Comment le pourrais-je ?… Voyons !… Mets-toi à ma place… C’est à genoux que je veux vivre auprès de toi maintenant… Ah ! quelle déclaration d’amour vaudrait les paroles que je viens d’entendre sortir de ton cœur ! Tu as dit les mots qu’on n’entend jamais qu’à la prière du soir…