Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/199

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le froid, le chaud, les inconvénients et la passion. Vrai, il se répand partout une espèce de médiocrité élégante du bonheur ; c’est fastidieux ! Nous avons tous le même appartement et la même âme… Ça devient une espèce de parcage, un nivellement général ; chacun y a sa petite case laquée blanc… Le socialisme des riches, quoi ! Je fuis tout le mauve contagieux de vos robes qui m’ont si bien apprivoisé à elles… Ah ! la vie qui salit, n’importe quoi ! mais de la vie vive et des passions.

GEORGES, à la cheminée en coupant un cigare.

Je vois évidemment que tu as besoin de changer d’appartement.

PIERRE.

J’ai besoin de ne plus me sentir préservé, voilà tout, de me délivrer de cette éducation médiocre dont vous êtes la patronne agaçante. (Jeannine entre à ce moment. Elle passe devant Pierre qui la happe au passage.) Tenez, là, votre petite élève… la chouchoute… Vous en serez fière, allez !… Que voulez-vous qu’il pousse dans de pareilles caboches ? Ah ! l’aurez-vous préservée celle-là, avant la vie, Isabelle !… Eh ! eh ! mon dieu, quels yeux mauvais ! Voyez-vous ça !… la petite poison !

(Jeannine se dégage d’un coup d’épaules et va froidement à sa sœur.)
GEORGES.

Tu l’embêtes, cette enfant, avec ton lyrisme !

JEANNINE, à Isabelle.

Tiens, voilà tes clefs.

(Elle jette les clefs sur la table avec bruit et s’en va.)
ISABELLE, à Jeannine.

Jeannine ! Eh bien, vas-tu ?

(Jeannine sort sans répondre, sans se retourner.)
ISABELLE, à Pierre.

Vous l’avez froissée ! C’est intelligent. N’importe, vous m’amusez… Comme si tout le monde avait à se préserver, comme si c’était une loi de naissance !