Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/200

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GEORGES.

Le passionnat obligatoire.

PIERRE.

Vous préférez la petite épargne bien française.

GEORGES.

Non, mais il devient extraordinaire, ma parole… On dirait qu’il s’en prend à nous… Pourquoi cet air rogue ?

ISABELLE, interrompant encore vivement.

Oui, que voulez-vous dire ? Que nous ne sommes que de petits bourgeois ? Mais pourquoi nous en faire un crime ! C’est curieux, Pierre n’a jamais pu admettre qu’il y ait des âmes totalement, oh ! mais to-ta-le-ment fermées à ce qu’il appelle avec tant de fracas « la passion ». Elles peuvent aimer beaucoup tout de même, soyez-en sûr… C’est cela que vous voulez me faire dire ? (Elle se tourne vers Georges et très sérieuse.) Eh bien, je le dis sans gêne, et Georges ne le trouvera pas déplacé : nous nous épousons tous deux, oh ! mon dieu, sans passion… et c’est tout de même une belle union que la nôtre.

PIERRE.

Je n’ai pas dit le contraire. Seulement, pourquoi ce petit air fat et compatissant ?

ISABELLE, riant.

Mais non ! vous êtes extraordinaire. Question de nature, de… tempérament, je ne sais pas moi… vous allez me faire dire des bêtises.

PIERRE.

Oui, vous avez la prétention d’être supérieurement équilibrée. Quelle erreur est la vôtre ! Je n’en veux d’autre preuve que cet amour désordonné et insupportable pour Jeannine.

ISABELLE, avec volubilité.

Ça, c’est autre chose, mon cher ! Cet amour-là est fait de quinze années de dévouement, d’abnégation, de…