Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/248

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que vous n’ayiez point quelque rapprochement, quelques heures d’intimité ! Vous ne gardez pas cette contrainte superflue, l’un devant l’autre, je suppose ?

ISABELLE, gênée.

Mais si, mais si… Cela fait partie de mon programme.

MADAME HEIMAN.

Fichtre ! Vous êtes une femme de caractère. (Se levant.) Allons, je vois que tout est pour le mieux, en effet…

ISABELLE.

Vous vous levez ?

MADAME HEIMAN, battant froid.

Mon Dieu, chère amie… je crois décidément que ma présence est très déplacée. Et je n’ai plus qu’à m’excuser d’avoir été indiscrète.

ISABELLE, brusquement.

Rasseyez-vous, Odette. Eh bien ! oui, c’est vrai… pourquoi essayer de nier plus longtemps l’évidence même ?… oui, ça ne va pas, ici… ça ne va pas comme je l’espérais.

MADAME HEIMAN, tout de suite rassérénée et curieuse.

Pauvre amie ! Vous deviez vous attendre pourtant à toutes les difficultés !

ISABELLE.

Ah ! dites à toutes les affres ! J’avais tout prévu. Aussi, je ne parle pas de mes angoisses personnelles… elles ne comptent pas… J’avais prévu l’état d’anxiété chronique dans lequel je devais désormais vivre, par peur insurmontable, irraisonnée même, de ce que ces yeux-là ont déjà vu !… Il y avait pourtant une chose sur laquelle je n’avais pas compté : le silence de Jeannine, un silence résolu, entêté… un mutisme mystérieux contre lequel je ne peux rien, absolument rien !… Et cela, c’est mal de sa part, je crois avoir le droit de le dire !

MADAME HEIMAN, poussant sa chaise.

Mais racontez ; je ne suis au courant de rien, moi !