Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 2, 1922.djvu/249

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ISABELLE.

Sans quoi, je ne sais que trop la tâche terrible que j’ai assumée !… Oh ! ces premiers jours ! Je les prévoyais, mais rien ne peut vous en donner une idée ! Nous avons fait tout ce que nous avons pu… Nous ne nous quittions pas tous les trois. J’évitais de me trouver seule avec Georges. Je voyais tellement ses pauvres regards navrés dès que nous étions obligés de la quitter !… Je devinais tellement ce qui se passait en elle !… Mais quoi ! il fallait bien nous séparer, ne fût-ce que… pour la nuit… Oh ! ces promiscuités inévitables ! Cette espèce de honte continuelle ! l’inévitable détail de l’intimité auquel il a fallu descendre ! Ah ! elle eût été autre, cette petite, mais comme on me l’a changée ! Vous ne pouvez vous douter de son insistance froide et silencieuse… cet oeil qui voit tout, devine, cherche à percer, va au-devant des pensées… Et cela avec, je puis dire, une impudeur, un soudain cynisme, une sorte de fièvre froide extraordinaire !… Nous avons placé naturellement nos trois chambres à des paliers différents… mais que de nuits, je peux vous le confier, où j’ai entendu son petit pas nu monter furtivement l’escalier !… que de nuits où j’ai senti son haleine anxieuse derrière la porte !… Elle épiait… puis je l’entendais descendre ; alors mon cœur se remettait à battre… Oh ! ces lendemains, où je la voyais toute pâle, avec des cernures, et déjà vieillie par la mauvaise anxiété ! Partout, dès que nous nous trouvons ensemble, Georges et moi, elle nous traque. On ouvre une porte… crac… elle est là, derrière, droite, les lèvres pincées. Elle vous regarde, puis passe comme une ombre. Elle fait des irruptions brusques ; sa petite tête les prépare, les calcule toute la journée. Oh ! le reproche perpétuel de son attitude ! Et j’ai tenté tout, toutes les paroles, toutes les tendresses ! J’ai essayé toutes les conversations, à trois, à deux, sur son amour ; j’en ai ri… j’en ai pleuré… Rien. Rien ne peut la faire sortir de ce